S. Silka:
Jeux de lumière et de couleurs réfléchies

Onze Parijsche medewerker Silka schrijft dit keer over Hirschfeld-Mack's ‘Reflettorische Lichtspiele’, waarvan de Liga binnenkort een vertooning denkt te geven. (Zie ook onder Off. Mededeelingen).

D'après le titre vous vous direz: ‘Ah, ah, du Post-Chomette!’. Détrompez vous, ce n'est ni du Post-Chomette, ni du Pré-Chomette, mais n'a rien du tout à voir avec l'auteur du ‘Chauffeur de Mademoiselle’.

Il y avait après la révolution allemande dans la tranquille petite ville provinciale où vécurent Goethe et Schiller un petit groupe d'artistes d'avant-garde, peintre, architecte, sculpteur, danseur, musicien, qui fondèrent au prix de mille efforts et d'une immense abnégation un foyer d'éducation artistique et manual qu'ils nommèrent Weimarer Bauhaus, ‘La maison de Construction de Weimar’, et qu'ils logèrent dans une délicieuse bâtisse cubiste peinte en cramoisi. A cette époque et quelques années encore la majorité de la Diète de Thuringe était détenue par les social-démocrates et les communistes, qui encouragèrent ce courageux essai pédagogique et artistique.

Dans cette ardente atmosphère de travail naquirent moins des chefs d'oeuvre individuels que des trouvailles collectives d'applications artistiques de la mécanique. C'est ce que voulaient les promoteurs, artistes vivant avec leur siècle. Entre autres naquirent les ‘Jeux de lumière et de couleurs réfléchies’, que je voudrais appeler ‘établi pour films absolus’. Rares sont les privilégiés qui l'ont vu et cependant des représentations sont une chose enchanteresse qui aurait place dans des salles d'avant-garde de tous pays. Les frais de déplacement assez élevés et l'interet ‘commercial’ nul l'ont étouffé. Il faut être riche pour être virtuose de violon. Pour la même raison les artistes de ces jeux de couleurs n'ont pu donner en cinq ans qu'une douzaine de représentations, fort onéreuses, dans quelques villes allemandes et autrichiennes.

Un écran. Un piano. Derrière l'écran des chuchottements vous révèlent la présence des artisans. - ‘Sonatine en vert et outremer’: suivant un égrainement de notes aux tonalités simples, dalcroziennes, se résolvant en des accords interrogatifs, apparaissent dans un coin supérieur de l'écran noir une figure géométrique, un rectangle blanc horizontal, puis sa ‘pénombre’ le débordant et se multipliant diagonalement jusqu' au coin inférieur de l'écran en un dégradé rigoureux des teintes. A la huitième, le tout disparait en fondu et il reste une autre forme géométrique amorçant la seconde phrase. Et la sonatine se poursuit, enchainant lumière et pénombre dans des contours nets en des irisations et des plages chatoyantes d'outremer, d'émeraude et de blanc. Une angoisse vous saisit. Des dissonances musicales savantes, ponctuées de motifs inflexibles et glauques vous mettent en trances, des fulgurations triangulaires vous transpercent. Et toujours ces déductions de

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pénombres négatives s'enfonçant dans vos nerfs. Vous vous sentez devenir lamelliforme. Le monsieur qui est assis derrière vous, bête noire de toute salle à écran, cesse ses interjections blasées et ses explications suffisantes faites à mi-voix. Vous êtes comme la volaille dont on tient la tête au bord d'une table et devant qui on trace une longue ligne à la craie. Vous voudriez vous échapper de ce rythme bichromé obsedant: le clavier mystérieux qui commande aux formes et aux lumières derrière l'écran vous subjuge. Et c'est brisé que le point d'orgue final, triomphant, outremer et d'une géométrie complexe vous reçoit....Durant l'entr'acte personne ne sort. Figés et muets, les gens, cramoisis, se regardent à la dérobée, honteux comme apres une ivresse érotique collective.

Le programme annonce ensuite: ‘Danse en M’. Cette fois l'ecran est blanc dans la salle noire. Un être géométrique et cyclopéen s'y ébat en une danse syncopée, se dédouble en ombres diversement colorées qui s'entrecroisent et donnent naissance à d'autres figures géométriques ayant leur vie propre. Un rire énorme s'empare de vous...

Et vous sortez, pressentant ce que pourra être la cinégraphie des couleurs.

Un mot de la réalisation technique de ces ‘jeux’: elle est fort simple et encore primitive. Un écran en toile, des patrons en carton découpé suivant des figures géométriques et une serie de petits projecteurs ou de simples lampes commandées par un clavier de commutateurs72.

Enfin donnons la parole au createur, M. Louis Hlrschfeld-Mack, sans oublier qu'il est peintre: ‘Les Jeux de Lumiere et de Couleurs réfléchies sont nés d'une necessité absolue. Mais ils ont suivi indirectement le besoin de faire atteindre un mouvement reel aux éléments de formes et couleurs qui dans un tableau sont ordonnés de façon à donner l'illusion de mouvement et de tension.

Lorsqu'on observe la peinture moderne, on s'aperçoit quelle s'eloigne toujours plus d'un moyen d'expression du collectivisme humain, obéissant à des lois naturelles, ayant des racines dans l'unité d'un peuple, naissant de la vie même de ce peuple et influant retroactivement sur lui. Ce processus de scission commença déjà avec Rembrandt qui traita la lumière en function indépedante de sa représentation objective et perdit ainsi, aussi bien objectivementque subjectivement, le terrain de la peinture religieuse pour se créer un moyen d'expression personnel. De nous jours l'écart est déjà tellement grand que les trauvaux de peintres eminents ne sont plus compris que d'un minuscale groupe ne comprenant que des peintres gens du métier et connaisseurs, qui s'interessent surtout pour des raisons d'esthétique théorique à la peinture moderne.

Le peintre moderne, à l'encontre du peintre gotique, n'a presque plus de contact avec son peuple. II ne prend plus son inspiration dans la communauté comme à l'époque gotique, et n'est plus porté par “la croyance du peuple entier en le Christ”, mais, ne puisant plus avec une nécessité instinctive dans la psychologie collective, Il est isolé du peuple, déraciné - et se cherche un peuple. Les peintres éminents d'aujourd'hui ne manquent pas plus que ceux d'autre fois de sérieux et de ferveur dans leur travail créateur et dans leurs discussions, et leur travail est une nécessité en tantque matérialisation d'une vocation personnelle. Mais la question se pose de savoir si la peinture en tant que facteur d'expression a encore une raison d'être pour la communauté? La peinture est elle encore le moyen de liaison et d'expression qu'elle fut pour la communauté ou bien est-elle remplacée par un nouveau moyen d'expression de la création iconographique qui serait l'image animée?

Avant même de travailler aux Jeux de couleurs réfléchies, je m'occupais des moyens de représentation du film. L'impulsion me fut donnée par l'impression formidable que me laissa le premier film que je vis. C'était à Munich en 1912. Le sujet était de mauvais goût et me laissa indifférent, mais ce qui fut décisif, c'est la force de mouvements lents et rapides, de quantités de lumière se succédant rapidement dans la salle obscure, c'est la transformation de l'intensité allant du blanc éclatant au noir le plus opaque. Que de moyens nouveaux d'expression c'était! Naturellement les principes les plusélémentaires du cinéma: se mouvant dans le temps suivant un ryth me n'étaient pas plus respectés dans ce film que dans la plupart des films modernes. La musique d'accompagnement fit également une grosse impression sur moi. Quoique l'on jouât comme d'habutide n'importe quel morceau, complétement indépendant de l'image animèe, je remarquai que quelque chose d'essentiel manquait lorsque la musique cessait. Les autres spectateurs devenaient agités et chez moi le malaise allait en augmentent jusqu'à une oppression intolérable qui ne disparaissait que lorsque la musique recommencait. J'expliquai ainsi cette observation: Le développement d'un mouvement dans le temps est plus exactement compréhensible par une division acoustique que parune division optique. Mais si une représen-

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illustratie
L. HIRSCHFELD - MACK REFL. LICHTSPIELE

tationspacialestordonnée en un mouvementréel”, des moyens musicaux accesoiresrendront plus facile la compréhension du rythme se développant dans le temps.

Le tic-tac régulier d'une montre donne une sensation plus immédiate et plus précise du temps que le phénomène optique, isolé de tout bruit, d'une petite aiguille tournant régulièrement. Cette observation et d'autres aussi, telles que l'assimilation de sons de cloches monotones à des éléments de temps, montrent l'exactitude de théorème énoncé.

En tous cas nous avons, en application de cette nécessité écrit une musique du rythme simple qui se lie intimiment à celui des jeux...

Les élements de construction des formes sont les suivants: le point mobile coloré, la ligne et la surface. Chacun de ces éléments est mobile dans tous les sens à toutes les vitesses, il peut grandir et rapetisser, s'éclaircir ou s'assombrir, prendre des contours nets on flous, changer de couleur, se combiner avec d'autres formes colorées d'ou naissent des mélanges optiques. On peut deduire un élément d'un autre, passer du point à la ligne et à une surface quelconque.

En diaphragmant les sources lumineuses et en intercalant des rhéostats, il est possible de faire apparaitre des figures complexes de formes et couleurs en fondu tandis que d'autres disparaissent en fondu. On peut aussi faire apparaitre et disparaitre brusquement des parties de la composition à l'aide de commutateurs.

Ces moyens simples permettent une quantité de variations et nous essayons par une connaissance parfaite d'atteindre à un jeu de couleurs rigoureux analogue à une fugue, dont chaque morceau sera construit sur un thème déterminé de formes et de couleurs...’.

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Quand bien même Monsieur Louis Hirschfeld - Mack ne se sert que du vocabulaire des peintres, je crois que nous pouvons l'admettre après cette profession de foi comme un des meilleurs cinéastes potentiels.

72In ‘Malerei, Photographie Film’ van Moholy Nagy vindt de lezer een reproductie van een partituur van Hirschfeld-Mack. - Red.