Charles Dekeukeleire:
Quelques Remarques
Extrait d'une Conférence, donnée le 21/22 III '30 au Filmliga Amsterdam
Dans mes films j'ai attaché à mes images ellesmêmes une valeur de moins en moins documentaire, pour ne plus y voir qu'un moyen de montrer un moment de sensation, un moment de pensée et dans la suite d'images, un moyen de réconstituer l'évolution même, la formation même de la pensée.
L'image ainsi perd de sa valeur propre. II arrive dans mes films qu'on ne puisse saisir clairement ce qu'est une image, parceque très souvent les images elles-mêmes sont animées de vibrations, obtenues par tremblement de l'appareil de prises de vues portatif, que je manie toujours moi-même. Mes images ainsi, participent du rythme qui résulte du montage. Je nie une fois pour toutes de vouloir faire ainsi de la musique, cela n'aurait d'ailleurs aucun sens, ou de faire, comme on me l'a reproché une fois, anti-visuel. J'essaye tout simplement de supprimer la barrière qui existe entre image et suite d'images, barrière toute artificielle, qui ne repose pas sur la réalité de nos sensations mais sur un tour de passepasse technique. J'affirme que lorsqu'on regarde mes films, en s'écoutant intérieurement, on ne se sent pas froissé de ne pas avoir directement, dès la première image se rapportant à une montagne par exemple, une idée précise de cette montagne, mais que cette notion de montagne ne nait que lentement d'une série d'images animées de certaines vibrations, se succédant suivant un certain rythme, images parfois totalement distinctes les unes des autres, parfois au contraire très proches, même identiques. Je pense au contraire atteindre ainsi une vérité, en même temps qu'une volupté dans l'image, qu'on n'atteint pas par un autre procédé. Le cinéma, art du devenir, doit acquérir dans ce devenir une vérité, une souplesse, analogues à celles de la musique. Ici voyezvous, je rencontre cet art, mais non dans les moyens, - dans l'esprit, ce qui n'est pas la même chose.