[p. 6]

Henri Poulaille
Le vrai visage de la France

Van verre kan men het ware gezicht der tegenwoordige fransche literatuur niet onderscheiden. De bekende schrijvers mogen enkele trekken van dit aangezicht weergeven, maar het geheel is slechts een masker. De fransche literatuur is oud, en rust op haar lanweren. Maar toch is er hoop op herleving. Enkele jongeren zijn tot het leven teruggekeerd. Wij zullen trachten een tamelijk juist overzicht van de tegenwoordige fransche literatuur te verkrijgen door ze in drie groepen te verdeelen:
1. De algemeen erkende officiëele literatuur: Proust, Bourget, Bordeaux, France, Mauriac, Artus, Maurras, Maurois, Valéry Larband, Romain Rolland, enz.
2. Die strooming, die met meer recht beroemd zou kunnen zijn, omdat ze inderdaad het heerschende karakter der literatuur vertegenwoordigt: Roger Martin du Gard, Lucieu Fabre, Vildrac, Hamp, Martinet, J.R. Bloch, Duhamel, Claudel, Daudet, Morand, Spire, enz.
3. Die meer typisch van den laatsten tijd is: enkele ouderen: C.F. Ramuz, H. Barbusse, en Blaise Cendrars, Pourrat, Panaït Istrati, de surréalisten Dellue en de jongeren: Chamson, Touseul, Guilloux, enz.
Een onrechtvaardige schets? Neen. - Partijdig? Ja, en opzettelijk.
?
Aus der Ferne ist das wahre Gesicht der heutigen französischen Literatur nicht zu erkennen. Die bekannten Autoren mögen einige Züge dieses Gesichts wiedergeben, aber das Ganze ist nur eine Maske. Die französische Literatur ist alt und ruht auf ihren Lorberen. Es gibt jedoch Hoffnung auf eine Wiederbelebung. Einige jüngere Autoren sind zum Leben zurückgekehrt. Wir werden versuchen eine annährend sachgemässe Übersicht der heutigen französischen Literatur zu bekommen, und sie in drei Gruppen verteilen:
Die allgemein anerkannte offizielle Literatur: Proust, Bourget, Bordeaux, France, Mauriac, Artus, Manrras, Maurois, Valéry Larbaud, Romain Rolland, usw.
Die Strömung die mit mehr Recht berühmt sein könnte, weil sie tatsächlich den gegenwärtigen Charakter der Literatur ausdrückt: Roger Martin du Gard, Lucien Fabre, Vildrac, Hamp, Martinet, J.R. Bloch, Duhamel, Claudel, Daudet, Morand, Spire, usw. Diejenigen die in der letzten Zeit mehr hervortreten: einige Ältere: C.F. Ramuz, H. Barbusse, und Blaise Cendrars, Pourrat, Panaït Istrati, die Surrealisten Delluc, und die Jüngeren Chamson, Touseul, Guilloux, usw.
Eine ungerechte Übersicht? Nein. - Parteiisch? Ja, und mit Absicht.
?
At a distance one cannot distinguish the real visage of the french literature. Wellknown writers may interprete some of the features of this physionomy, the total however is only a mask. The french literature is old and rests satisfied with the laurels it has won. But anyhow there is a hope of revival. A few of the younger have returned to Life. We shall try to get a fairly good view of the present french literature by deviding same in three groups.
1. The generally known official literature: Proust, Bourget, Bordeaux, France, Mauriac, Artus, Maurras, Maurois, Valéry Larbaud, Romain Rolland, etc.
2. That current, which with a greater right should be famous, because in fact it represents the prevailing character of the literature: Roger Martin du Gard, Lucien Fabre, Vildrac, Hamp, Martinet, J.R. Bloch, Duhamel, Claudel, Daudet, Morand, Spire, etc.
3. Those who are more typical of the present time: some of the elder, C.F. Ramuz, H. Barbusse, and Blaise Cendrars, Pourrat, Panaït Istrati, the super-realists Delluc and the younger ones: Chamson, Tousseul, Guilloux, etc.
An unrighteous sketch? No. Partial? Yes and ‘willingly’.

Je ne sais quel masque ou quelle figure la littérature française offre à l'étranger. De loin ou voit mal, mais je devine qu'en Hollande comme ailleurs on doit juger d'elle à travers quelques vagues grimaces ou quelques expressions figées: Claude Farrère, - Anatole France, - Bourget, - Bordeaux, - Alfred Machard, - Dekobra pour ne citer que quelques noms.

Chez nous il en est de même, avonerai-je pour ce qui est des littératures du dehors - les plus lointaines comme les plus proches. Ne nous sommes-nous pas laisser prendre à un Sienckiewicz, pour la Pologne alors qu'un Pribizewsky nous est encore inconnu. Pour la littérature germanique, citons seulement les noms de Wedekind et d'Arno Holz, ignorés ou presque ou le cas de Zweig qui, si l'on excepte sa biographie de Verhaeren, n'avait pas encore jusqu'à ces derniers mois, droit de cité dans les collections étrangères. Pour la Hollande, c'est l'indiffërence. On connaît un peu Couperus, on méconnait une Henriette Roland Holst et peut-être n'y a-t-il pas cent personnes ayant souvenir d'avoir lu quelque chose de Multatuli.

Ne nous faisons pas d'illusions. Les relations intellectuelles internationales sont loin d'être sur le plan désintéressé où elles devraient être et sans doute ne seront-ce ni les traductions ni les conférences qui remédieront tout de suite à cet état de chose déplorable.

Pour les traductions, comment cela se passet-il, on se sert entre ‘copains’. La combine préside. Aide-moi et je t'aiderai est l'unique axiome - la critique n'a qu'à emboîter le pas, le lecteur marche à sa suite. Et voilà le tour est joué: ni vu, ni connu.

C'est ainsi que presque tout Kouprine est traduit en français, alors que cinquante auteurs russes de plus grande classe sont laissés dans l'ombre. On décrète M. Thomas Mann le plus grand romancier allemand et l'on ignore à peu près totalement son frère Heinrich. Bénavente, auteur espagnol, prix Nobel, n'a pas une seule de ses oeuvres traduite en français, mais nous allons en échange posséder l'oeuvre entière de M. Ramon Gomez de la Serna. Nous ne lisons rien

[p. 7]

de Pérez Galdos, ni de Pio Baroja par contre. Ils sont cependant d'une autre classe. Upton Sinclar est boycotté, Bernard Shaw dénigré ainsi que Wells. Personne ne parle des ‘Dynast’ de Thomas Hardy, mais un tas de petits gentlemen anglais font figure de grands hommes grâce à leurs relations.

En France il y a ainsi quelques gens de lettres actifs qui ont aussi beaucoup de relations partout, beaucoup de traductions. Les critiques de partout sont si fortement occupés qu'ils se préoccupent davantage de ne pas manquer le dernier bateau que de s'assurer s'il est solide. Cela serait désespérant si nous ne voyions pas ces esquifs en partance vers la gloire, faire eau un par un, avec une régularité quasi-mathématique.

Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que pas d'avantage que la majorité des critiques français, les critiques de l'étranger ne se rendent vraiment compte de l'état présent de notre littérature. Et par conséquent j'en concluerai que moins encore que le public français si mal renseigné, les publics étrangers peuvent s'en faire une idée valable.

Pour un Hollandais (je songe à Byvanck qui avait su si bien voir,) notre vie littéraire doit se dessiner en une espèce de carte où s'inscrivent comme réprésentatifs tels noms qui sont ceux d'hommes en place, d'itinérants amateurs (conférenciers ou mondains aimant les beaux voyages) pour une bonne moitié. Le complément étant fourni par l'importation ceux que la réclame a imposés, ceux que la camaraderie a fait connaître. Si je tente de faire une liste en toute honnêteté, je vois Paul Valéry, Maurois, Maurras, Mauriac, Béraud, Dekobra, H. Bordeaux, Anatole France, René Bazin, Proust, Clément Vautel, Bourget, A. Machard, Giraudoux, Baumann, Morand, Montherlant, ajoutons Rolland, J. Romains, Duhamel dans quelques pays. C'est une liste type, valable aussi bien pour l'Allemagne que pour la République Argentine ou la Hollande à peu de changements près. Mais est-ce vraiment la littérature française d'aujourd'hui qu'elle représente? C'est à voir.

Il est exact que quelques-uns de ces auteurs, une dizaine admettons, sont représentatifs de notre vie littéraire, mais ils n'en sont, et ceux-là seuls, que quelques expressions.

Une France littéraire envisagée d'après cet ensemble de noms, ce groupe pour le moins hétéroclite, ou d'après d'autres groupes similaires, est plus ou moins juste obligatoirement, mais on l'accepte pour juste et là est le danger.

C'est en tous cas une France qui date, une France peut-être actuelle dans le sens du présent, de vivante, nous ne le nions pas, mais de momentanément vivante, contemporaine serait un terme plus exact. Ces auteurs pour la plupart ne sont plus en conformité avec l'esprit de leur époque, ils ne sont plus au diapason de la vie de ces dernières années, et ne peuvent se plier à elle. Il y a ainsi à certaines époques, des séparations qui dressent l'une contre l'autre deux générations. 1900 et 1920 sont aussi lointaine l'une pour l'autre que pouvait l'être 1830 de 1900.

Aussi vous montrerai-je la littérature de mon pays comme elle s'offre à mes yeux.

D'abord et pour bien mettre les choses au point. Elle m'accepte mal, et je ne la comprends pas. Ceci dit, si je fais d'elle une caricature, c'est qu'elle ne me paraît pas autre chose, du moins celle appréciée officiellement.

Si l'on ne détaille pas trop, c'est une poupée bien poudrée, pomponnée, guindée avec l'apparence de la santé, grâce au rouge et autres ingrédients de pseudo-jouvence.

En réalité c'est une vieille dame bien fatiguée, ses chairs sont flasques, ses nerfs malades et si de loin elle fait encore illusion, paraît tenir droit, elle ne saurait plus marcher loin à moins qu'un sang neuf ne la revivifie. Le souffle lui manquerait bientôt...

Je suis partial!!

Tant que cela? Non. Je dis ce que je vois, comme je le vois.

Nous avons eu Balzac, Zola, Vallés. Ils écri-

[p. 8]

vaient mal, affirme-t-on communément au nom d'un certain snobisme du style.

Q'est-ce que c'est qu'écrire mal? Il faudrait s'entendre. Le dire ne doit-il passer avant le bien-dire? Ils avaient eux au moins quelque chose à dire - ils avaient quelque chose dans le ventre. Où sont les auteurs français des dernières générations qui pourraient leur être comparés?

Aucun si doué qu'il soit n'a le cran, la puissance de création, de ces bonshommes qu'on pense n'avoir plus besoin de lire.

Proust...Anatole France!...Bourget?...Barrés?...Ils ne nous ont donné que des oeuvres d'amateurs, même le grand Proust.

Introspections, petites secousses, fioritures ou beau langage. Des mots, des phrases, un bel agencement de ces phrases, de ces mots, mais cimenté de poussière de salon et de bibliothèque ou de chambre de malade. De la vie, de celle commune à tous, on la chercherait en vain, car une certaine vie n'est pas la vie. Des vies exceptionnelles comme celles des héros d'un Proust, d'un Mauriac, ou d'un Bourget sont des déformations réussies ou non, et ceci pour Bourget trop souvent, d'involontaires caricatures.

Tout, le style, la composition, leur métier d'écrire sent la fatigue ou la maladie. Maladie de coeur, névrose, strabisme, daltonisme, myopie et surtout le cérébralisme qui est bien la plus terrible paralysie de la sensibilité. Pas d'air dans leurs oeuvres, ça pue le désinfectant, la crême de toilette, le tabac anglais ou turc. C'est de la littérature de chambre où jamais les fenêtres ne sont ouvertes. Littérature d'asthmathiques, de désaxés, d'éreintés. Ils sont de petits bourgeois ou de gros bourgeois et le restent. Des écrivains de carrière, oui; de tempérament, non. Ah! croient-ils nous donner le change, leurs thuriféraires, quand ils nous scandent leurs mérites à coup d'encensoirs.

‘Le style, c'est l'homme,’ répètent-ils. Ah! çà se voit, ça coule gentiment, c'est fait selon les régles. Ah! ce cri de Nietzsche: ‘Ecrit avec ton sang.’

Du sang, mais la plupart d'entre eux...n'ont que de l'encre...

C'est toujours d'une bonne moyenne, ça peut se noter ‘bien,’ voire ‘très bien’. Ça ne dénote pas, ah! bougre non! Même lorsque c'est obscur, car il y a une manière d'écrire ‘obscur’ qui est, paraît-il, du grand Art. Voilà un tableau bien noir. Iujuste, non. Partial. J'admets. J'ai une impression de classe (je parle au nom de cette impression de classe). Et il ne suffit pas de se dire de gauche pour être de ma ‘classe’. Mon tableau est exact. Ce n'est que la transposition du tableau officie!...l'angle de vue seul n'est pas le même. C'est le visage de la France littéraire qui se montre à l'étranger. Si vu avec tel éclairage qui n'est pas l'habituel, il n'est qu'un masque, cela ne veut pas dire que j'y ai ajouté des rides...qu'on les ai vues prouve simplement qu'elles y étaient inscrites!

Du reste, ce n'est pas lui le véritable visage de la France littéraire d'aujourd'hui.

Nous essaierons plus loin d'en esquisser les traits.

Quelques critiques ont dénoncé l'apathie de la littérature contemporaine française. Ils ont cherché des moyens de la guérir. Mais la plupart des docteurs qui voient cette aimable personne lui disent à qui mieux mieux:...mais vous àtes plus belle que jamais, tou jours plus jeune. Et la pauvre dame se mourrait lentement, entraînant toute sa nombreuse famille si quelques-uns ne s'étaient pas enfuis loin de ses lieux de promenade. Pauvre dame qui ne sent pas qu'elle s'ankylose. Cette apathie a une explication, celle-ci:

C'est que la France a un trop riche passé. Une vaste litière de lauriers s'offrait il n'y avait qu'à se coucher dessus, ce qui fut fait. Au loin, l'ombre de ces lauriers fait illusion, par instant une branche se lève au dessus d'une tête, auréole de théâtre. Mais ces lauriers coupés sont, eux aussi, poussière. Au fait, n'en est-il pas de même de presque toutes les littératures présentes?

Heureusement, de la mort naît la vie et certains jeunes écrivains arrivent déjà, et bousculent ces branchages. Eux ce sentent robustes et ont besoin de se dépenser.

Plus de Déites n'existent pour eux. Au vent les codes, les grammaires. A bas les statues. La Vie est là.

Les Paysages, le ciel.

La Joie d'être.

Et c'est toute une cohorte d'indépendants que l'étranger ignore à cette heure, et qui, dans dix ans, dans vingt ans, remplacera le masque grimaçant aux cent visages que l'on a toujours regardé de trop loin.

[p. 9]

La littérature d'aujourd'hui se cherche. Il y a des cris, des bégaiements, des ratés, mais aussi des réussites en nombre. Elle est gênée dans sa volonté d'aller de l'avant, les routes sont encombrées, elle doit se tracer ses chemins. Ces nouveaux écrivains ont leurs outils, leurs matériaux, mais point de bailleurs de fonds.

Ils sont l'ennemi, ils ont la jeunesse, la fougue, l'entrain que les autres n'ont plus, que la plupart n'eurent jamais, or les journaux sont dans les mains de ceux-là, les revues aussi. De temps en temps pourtant un de ces sauvages est sollicité. Il y avait une place à combler (on parle d'éclectisme dans les cadres des vieilles barbes!) à leur insu, euxmêmes introduisent dans la vieille batisse un peu de dynamite.

A coté de ces ‘brutes’ ces iconoclastes, quelques consciencieux écrivent parce qu'ayant à porter témoignage. Ils préparent la transition. C'est plutôt le groupe de ceux là qui mériterait d'être apprécié comme les représentants réels de la litterature actuelle.

Eux sont nettement d'aujourd'hui malgré leurs attaches au Passé.

Au hasard je citerai Lucien Fabre, Roger Martin du Gard, Hamp, Vildrac, Marcel Martinet, Bernanos, André Baillon, Daudet, P. Morand, Claudel, J.R. Bloch, G. Chennevière, Werth, Duhamel, Jules Romains, Delteil, Giraudoux, (ses premiers livres) Soupault, (premières oeuvres) André Spire, Cocteau, Max Jacob, Salmon, De Chateaubriant, Apollinaire, Elie Faure, Paul Claudel.

Eux seuls ont suivi la ligne tracée par les aînés, les Balzac, Stendhal, Cladel Vallei, Renard, Zola, Philippe, Mirbeau, Eekhoud, Lemonnier...

Ils ont compris la leçon de la vie, n'ont jamais perdu de vue le réel sur lequel seulement l'on peut bâtir solide.

Il n'y a pas là question de maîtres, mais de santé physique et morale.

Evidemment on ne peut nier la valeur d'art que chacun des ouvrages d'un Gide et d'un Proust surtout, est susceptible de dispenser à leurs lecteurs, mais ils sont involontairement d'une époque périmée. C'est en vain aussi que l'école d'un Bourget se voudra rattacher à Beyle, Benjamin Constant, Fromentin, ils sont des élèves de ces maîtres, mais la filiation que certains croient saisir n'est qu'artificielle et créée pour se défendre. Un Julien Green seul pourrait peut-être s'en recommander et encore l'influence des Anglais et des Russes est davantage perceptible dans Mont-Cinère et Adrienne Mesurat. A cette catégorie d'auteurs appartiennent les poètes Valéry, Mme de Noailles, etc., les romanciers André Maurois, François Mauriac, Gaston Cherau, Louis Artus, Valéry Larbaud, Romain Rolland, Baumann, H. Ghéon, Gide, Marcel Proust, Suarès, etc.

C'est à dessein que nous citons les meilleurs. Certes ils n'y entrent pas tous au même titre - et il y a toujours de l'arbitraire dans une classification - et nous ne nions pas qu'un Romain Rolland ait conçu une oeuvre qui compte. Trop d'intelligence à dire vrai. Ce qui les éloigne de nous c'est leur soumission trop volontaire à la culture, qui conservée et trop souvent rappelée inconsciemment, les gène dans leur vision des choses de la vie, les écarte de la simplicité qui veut des yeux toujours libres et neufs.

L'art et ses émotions secondes, leur atténue leur sensibilité. Il est rare qu'ils émeuvent purement. Ce n'est qu'une parcelle de notre moi qu'ils touchent. Nous ne vibrons jamais avec eux...Ils nous émeuvent imparfaitement intellectuellement, parce qu'eux-mêmes, n'ont plus de facultés d'émotions que cérébrales.

Les écrivains du groupe précédent, les Fabre, Martin du Gard, Baillon, Duhamel savent en plus de l'émotion d'art que leurs livres nous donnent, nous émouvoir humainement. Delteil, Giraudoux, Soupault dans leurs derniers romans ont beaucoup perdu à ce point de vue. Trop de part faite à l'artifice. Même observation pour Paul Morand, où cela est toutefois moins net. Amour du Jeu. L'esprit, c'est beau, mais les nerfs, c'est plus nu, plus sûr.

Dans les livres de Delteil et de Giraudoux, on rencontre des chapitres entiers qui sont des exercices de jonglerie verbale...où la sensibilité est absolument absente. Adresse soit, poésie peut-être, mais mécanique.

Venons-en, enfin, au dernier groupe.

Ceux-là sont en avance...du moins comme ils ne sont que quelques-uns qui vibrent au diapason de l'époque, (Cinéma, rythmes libérés, T.S.F., Vitesse) alors que les autres piétinent ou marchent à pas normaux, ils paraissent être en avance. Au premier plan

[p. 10]

c'est Ramuz et Cendrars usant d'une langue cinématique (Lire: La Séparation des Races, L'Amour du Monde, Passage du Poète, du premier, et L'Or, Moravagine, Du Monde Entier, Eloge de la Vie Dangereuse, Profond Aujourd'hui, Kodak, du second).

Ramuz et Cendrars sont les deux écrivains les plus curieux de la laugue française. L'un et l'autre sont plus ou moins dédaignés par leurs confrères. Le public les connaît peu. Par contre, ils sont sans doute les deux auteurs ayant le plus la sympathie compréhensive des jeunes.

Mais mon article est déjà bien long. On voudra m'excuser de ne signaler que brièvement tels écrivains qui méritaient de nous arrêter.

Voici Henri Barbusse qui, frappé des possibilités du style Ramuzien, cherche de son coté. (Lire les 3 nouvelles réunies sous le titre: ‘Force’).

Pourrat, l'auteur du ‘Mauvais Garçon’.

A part mettons Louis Delluc, l'un des premiers animateurs du Cinéma français et René Clair, l'auteur d'Adam.

A part aussi les surréalistes, surtout Louis Aragon, André Breton, Ribemont Dessaignes, Paul Eluard.

Il y a encore l'extraordinaire conteur Panaït Istrati, et des isolés comme André Chamson, l'auteur de Roux le Baudit. Jean Touseul à qui l'on doit maints contes émouvants, et Le Village Gris: Lucien Bourgeois, avec l'Ascension; Louis Guilloux avec La Maison du Peuple, trois curieux romans d'inspiration prolétarienne; Tristan Rémy, poète et romancier dont Rieder nous donnera bientôt le premier roman, et Charles Rochat; Lucien Gachon, écrivain paysan. Citons encore Pierre Albert Birot, à qui tant de jeunes doivent, Marcel Brion, Joseph Jolinon. André Beucler. Pierre Mac Orlan. Alexandre Arnoux, Marcel Arland, Néel Doff.

Et j'en oublie. Mais je me console en pensant que mon tableau des lettres françaises contemporaines est malgré tout plus complet que ceux passe-partout que les sociétés d'entr'aide mutuelle fournissent.

Qu'on me reproche d'être injuste, d'avoir des parti-pris peu me chant...

Je ne me pose pas en juge, mais en témoin. Maintenant il est d'autres témoignages qui peuvent ne pas concorder avec celui-ci...

J'ai parlé pour moi.



illustratie
PHOTO GERMAINE KRULL

‘DE BRUG’
JORIS IVENS