Denis Marion:
Le Club du Cinéma de Bruxelles

Il ne sera peut-être pas sans intérêt d'exquisser l'activité du Club du Cinéma depuis son origine. Ceux qui étudient les possibilités d'existence d'une salle de cinéma spécialisée - c'est-à-dire ne donnant que des films qui présentent une valeur artistique - y trouveront dans cette étude, des renseignements dont ils pourront peut-être tirer profit.

Au début de l'année 1927, le Club du Cinéma s'établit dans la salle de projections cinematographiques qui dépend de la Lever House. Cent cinquante fauteuils (mais il fallut bientot ajouter des chaises en présence du succès); deux représentations de chaque spectacle (les vendredi et samedi soirs); dix spectacles pour la première saison. La composition de programmes était due à M. Albert Valentin. Elle était très intelligemment conçue: en dix séances, on donna des films d'avant-guerre (dont un Chaplin de 1912), des documentaires (dont les Merveilles de la mer et Moana), des fragments des deux oeuvres qui eurent peut-être le plus d'influence sur le cinéma: Le cabinet du docteur Caligari et la Roue, des reprises des meilleurs films qui n'avaient fait qu'une trop courte carrière dans les salles ordinaires et enfin des films inédits (pour la plupart d'entre eux: Jazz, l'Image, Fait-divers et Entr'acte; ce fut la seule occasion que les Bruxellois eurent de les voir).

La seconde saison (1927-1928) ne comprit pas moins de vingt spectacles. La galerie de tableaux le Centaure aménagée pour la projection abrita les deux séances hebdomadaires: elle permettait de contenir deux cent cinquante spectateurs et bien souvent, il ne restait plus une place libre. Si les programmes, dont le choix était dû à M. Carl Vincent, ne présentèrent pas tout le même intérêt, la seule cause en était que la première saison avait montré presque tout ce qui valait la peine d'étuver et qu'il n'y a pas tant de bons films qui sortent en six mois. Outre de très nombreuses reprises, le Club du cinéma donna pour la première fois à Bruxelles des films anciens qui étaient restés inédits comme Théàtre (Le pauvre et la chanteuse) de Dupont, Raskolnikoff de Wiene, Maître Samuel de Sjostrom, et de films récents comme Rien que les heures, Puzzle de Paul Leni, La coquille et le clergyman Lichtspiel de Walter Ruttmann, Toison d'or de William K. Howard (White gold), Emak Bakia. Cette simple énumération suffit à faire entrevoir l'effort qui fut accompli.

Cette année-ci, le Club du Cinéma emigre pour la troisjème fois et occupe le Studio du Palaisdes Beaux-Arts. En cette occasion, il change de nom et devient le Club du Studio. Il ne donne plus qu'une seule séance par semaine (le vendredi), réservée aux abonnés. C'est que les autres jours fonctionne dans la même salle le Studio qui donnera un autre programme, principalement composé de reprises d'oeuvres classi-

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ques ou mal connues; ainsi les premières spectacles sont respectivement la Folle nuit (New Year's Eve) de Roy del Ruth et les Rapares d'Eric von Stroheim. Tandis que le Club du Studio s'occupera surtout de donner des films nouveaux et audacieux, qui sont faits pour une clientèle plus restreinte: le premier aura été la Symphonie d'une capitale de Walter Ruttmann. Il n'est pas encore possible d'affirmer que cette formule originale aura tout le succès qu'elle mérite: il faudra l'épreuve du temps pour nous en rendre compte. En tout cas, le seul fait des deux années d'existence du Club du Cinéma permet de croire qu'il y a à Bruxelles un public capable de faire vivre une salle spécialisée. Peut-être faudra-t-il encore des années pour que tout ce public soit réuni, averti et décidé à apporter son aide à une entreprise de ce genre. Mais il n'est pas douteux qu'un jour il en sera ainsi. Ce jour là, Bruxelles possidera une salle qui jouera tous les jours de l'année les films conçus par les rares hommes qui travaillent au cinéma sans tenir compte des exigences commerciales. Cent ou deux cents cinémas semblables existeront en Europe. Ce jour là, ces hommes travailleront encore toujours d'une manière desintéressée, mais ils ne se ruineront plus ou ils ne ruineront plus leurs commanditaires. Un beau film qui ne fait pas de concession au public ne sera plus nécessairement une mauvaise affaire. L'art du cinéma sera quelque peu débarrassé d'une tutelle commerciale qui actuellement est écrasante. Il pourra réaliser bien d'autres progrès que ceux que nous lui avons déja vu faire. Il n'est pas un ami du cinéma qui ne doive travailler de toutes ses forces au triomphe de cette tendance.