A. Schapiro
La révolution Russe à vol d'oiseau

De russische revolutie moet scherp onderscheiden worden van het russische bolsjewisme. Revolutie is altijd een positief verschijnsel, ook al begint ze met destructie. De politieke partij, die naar de macht streeft, of deze verovert, is altijd een negatief verschijnsel, ook al is ze schijnbaar constructief.
Het voornaamste doel van een sociale revolutie bestaat daarin, dat de arbeiders zelf, niet slechts de meesters, maar ook, en in de eerste plaats, de beheerders zijn en de organisators van geheele maatschappelijke leven - het land, de fabriek, de stad, het dorp, het huis - in het belang van de gemeenschap. Dit moet tenslotte leiden langs een proces van decentralisatie van macht tot de opheffing van de staatsmacht. De uitweg uit het vastgeloopen bolsjewisme moet gezocht worden in de anti-autoritaire methoden van sociale reconstructie door de hand- en hoofdarbeiders zèlf.

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Man muss die russische Revolution scharf von dem russischen Bolschewismus unterscheiden. Revolutionen sind immer positieve Erscheinungen, auch wenn sie im Anfang destruktiv scheinen. Politische Parteien die zur Macht streben oder diese erobern, sind immer negative Erscheinungen, auch wenn sie scheinbar konstruktiv beginnen.
Das hauptsächlichste Ziel einer sozialen Revolution besteht darin, dass die Arbeiter selbst nicht nur die Herrscher, sondern auch, und vor allem, die Verwalter und Organisatoren des ganzen gesellschaftlichen Lebens - das Land, die Fabriek, die Stadt, das Dorf, das Haus - im Interesse der Gemeinschaft sind. Dieses würde schliesslich durch einen Prozess der Dezentralisation der Macht zur Aufhebung der Staatsgewalt führen. Der Ausweg aus der bolschewistischen Sackgasse ist in den antiautoritären Methoden des sozialen Aufbaues durch die Hand- und Kopfarbeiter selbst zu suchen.

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The Russian Revolution must be clearly differentiated from Russian Bolshevism. Revolutions are always positive phenomena, although they happen to begin with destruction. Political parties striving for, or gaining, power are always negative phenomena, although they happen to begin with construction. The main purpose of a Social Revolution consists in that the workers themselves are not only the masters, but also, and foremost, the managers and the organizers of all the walks of life, - the land, the factory, the city, the village, the house, - on behalf of the entire community. This would ultimately lead, by a process of decentralization of power, to the abolition of State power. Thus the issue from the Bolshevik blind alley is to be found in the anti-authoritarian methods of social reconstruction undertaken by the (manual and brain) workers themselves.

On fête le dixième anniversaire de la Révolution Russe. Moment solennel dans la vie des opprimés du monde entier! Moment de recueillement pour quiconque a foi dans la cause de la libération complète des travailleurs de tous les pays!

Employons donc ce moment de recueillement pour essayer de nous rendre compte de ce que ces dix années ont pu donner au prolétariat mondial - et au prolétariat russe en particulier; ce qu'elles ont pu signifier comme point de repère dans la lutte ardue des exploités contre l'oppression.

Un article de revue ne suffit naturellement pas pour pouvoir donner un aperçu décennial sur la signification et l'importance de cet événement que fut la Révolution Russe. Il faudra donc se contenter de jeter sur papier quelques thèses fondamentales et peu complexes, capables de faire ressortir

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les points angulaires de cette Révolution. Le processus, déjà assez complexe en lui-même, a été rendu bien plus compliqué encore par l'immixtion d'un parti politique puissant qui, par la prise de possession du gouvernail de la Révolution, en a fait un usage qui rendait le développement de cette révolution excessivement onéreux et difficile.

Si l'on jette un coup d'oeil en arrière sur les dix années qui se sont écoulées depuis le jour où le prolétariat russe avait proclamé sa volonté de ne pas s'arrêter à la démocratie bourgeoise dans sa marche révolutionnaire vers son émancipation, on se rend tout de suite compte de la difficulté qu'il y a à déterminer ce que cette révolution avait pu donner de positif ou de négatif depuis ce jour de Novembre où elle était entrée dans la phase de réalisations pratiques.

Peut-on, en somme, parler mécaniquement d'un rôle positif ou d'un rôle négatif d'une révolution? La révolution étant le séisme historique par lequel les sociétés humaines détruisent un taudis social devenu empoisonné et empoisonnant, son rôle porte toujours un caractère de salubrité publique et est, en conséquence, d'ordre positif.

D'un autre côté, nous savons que la révolution se fait par tous, mais qu'elle n'est canalisée que par quelques uns. Si donc cette ‘canalisation’ contredit les bases mêmes sur lesquelles la révolution a surgi, le phénomène de la révolution cesse, et commence celui de sa limitation: c'est le phénomène à caractère négatif qui commence.

Il faut donc parler du rôle positif de la Révolution et du rôle négatif de ceux - individus ou partis - qui encerclent la révolution pour la limiter dans son essor.

Ce dédoublement ressort d'une façon admirablement claire en Russie. Et tous ceux - ils sont déjà légion - qui paient des visites touristes ou semi-touristes à la Russie actuelle, qui la voient dans ses habits de dimanche ou qui ne la voient même pas du tout, tout en la dévisageant avec des yeux hagards et inquiets, commettent cette même erreur tragique: celle d'assimiler les ‘encercleurs’, les ‘canalisateurs’ à la Révolution elle-même, c'est-ê-dire ê l'objet encerclé. En consommant, dans leur esprit, cette assimilation, ils rejettent sur la révolution les défauts, qu'ils sont quelquefois obligés de reconnaître, ou qu'ils recherchent souvent avec avidité, inhérents aux ‘encercleurs’ de cette révolution.

C'est ainsi que les réactionnaires, ou même les indifférents, arrivent à conclure à la légère que le régime dictatorial en Russie est une condamnation à mort de toute révolution, tandis que les admirateurs de ce même régime rejettent tous défauts de construction sur les épaules non pas des architectes qui ont dressé les plans, mais sur ceux qui, ayant démoli le vieil édifice, ont eu la négligence de se trop fier aux capacités de tel ou tel parti qui disait savoir bâtir.

Les deux clans tombent dans une erreur profonde. Toute révolution améliore l'état de choses qui avait existé avant cette révolution. Ce n'est que la limite de compréhension des buts de la révolution qui met un frein à son propre essor. Mais si, dans ces limites naturelles, la partie reconstructive de la révolution s'effectue en base de principes opposés, ou en désaccord avec la volonté de ceux qui ont démoli l'ancien état de choses, la lourde faute d'avoir dévié la révolution de ses buts tombe entièrement sur ceux qui ont oeuvré contre cette volonté.

En Russie, nous avons eu deux grandes forces dans la Révolution: celle qui l'a faite, c'est-

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à-dire le peuple révolutionnaire - ouvriers, soldats et paysans - qui a donné la possibilité d'édifier un nouveau système, et celle qui l'a défaite, c'est-à-dire le parti bolcheviste qui l'a édifié d'après ses propres plans, sans en appeler à ces mêmes ouvriers et paysans.

Il faut donc, en mettant ces choses au point, nettement soumettre à l'examen les deux côtés de la question: 1) quel est le rôle positif de la Révolution Russe; 2) quel est le rôle négatif du bolchevisme.

Le Rôle Positif de la Révolution Russe.

La révolution du 7 Novembre 1917 avait été la première révolution que l'histoire ait connue dont les bases et les revendications étaient franchement sociales. Tandis que les révolutions des siècles passés laissaient intactes les contradictions de classe et l'exploitation économique, la Révolution Russe de Novembre 1917 définissait nettement son but intégral en proclamant l'abolition de toute exploitation et l'organisation de la vie, dans toutes ses manifestations, par les travailleurs eux-mêmes. Au point de vue politique, la révolution proclamait ‘le pouvoir aux Soviets’ c'est-à-dire la décentralisation de l'Etat, le ramenant à sa plus simple expression: le Soviet local.

Les principes directeurs de la Révolution Russe étaient donc, si nous essayons de visualiser son maximum d'essor:

 
La terre aux paysans
 
L'usine aux ouvriers
 
Les habitations aux locataires
 
La ville aux habitants

et ainsi de suite.

Et, en effet, après une courte lutte ‘sur les barricades’, le peuple travailleur russe se mit à l'oeuvre: le paysan à cultiver sa terre, l'ouvrier à faire marcher son usine, le Soviet à organiser la vie de sa localité - que ce soit une ville, un village, un hameau ou une maison d'habitation.

Notons immédiatement que les principes ci-dessus énumérés ne sont pas ceux que nous aurions préféré voir inscrits sur la bannière de la révolution sociale. Et depuis la Révolution de Novembre 1917, à maintes reprises, on reprochait aux anarcho-syndicalistes, et aux syndicalistes en général, que le syndicalisme se limitait à ‘l'usine aux ouvriers, les chemins de fer aux cheminots’, etc. Erreur profonde, incompréhension complète, si ce n'est pure démagogie. C'est grâce à cette erreur profonde, bien qu'imperceptible à première vue, que les Bolcheviks russes, proclamant avec le reste de la population ces principes qu'ils nous reprochaient plus tard, ont pu se saisir du pouvoir et le garder assez longtemps pour pouvoir aujourd'hui commémorer non seulement le dixième anniversaire de la Révolution, mais aussi le dixième anniversaire de leur propre avènement au pouvoir.

‘L'usine aux ouvriers’? Oui, nous disent les bolcheviks, mais c'est nous qui la ferons marcher pour eux. La ville aux habitants? Naturellement, clament-ils encore, mais c'est nous qui la gérerons pour eux. Et comme il en est de même de par tout le pays et que le ‘nous’ reste le même, dans quel coin de la Russie que ne se cache une usine ou un Soviet, il s'en suivit inévitablement que l'usine et la maison et la ville et les Soviets sont devenus les terrains d'exploitation du bolchevisme. Le mot d'ordre ‘tout le pouvoir aux Soviets,’ mot d'ordre décentralisateur, est réalisé par une mise en pratique de caractère opposé: tout le pouvoir au Soviet....Central!

Nous avons eu un exemple frappant de cette mystification. Au moment de la révolution, en Novembre 1917, il existait un organe portant le nom de: ‘Comité Exécutif Panrusse des Chemins de Fer’. Ce Comité contrôlait et exploitait tous les réseaux de chemins de fer de la Russie. Il était composé de représentants de tous ces réseaux et avait ses organes périphériques partout où il y avait une gare. Le Comité Exécutif Panrusse des Chemins de Fer exploitait les lignes ferroviaires au profit du pays tout entier! Il était indépendant

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dans son activité! Il ne se soumettait à aucune directive centrale! Voilà trois crimes qui ne pouvaient rester impunis par ceux qui considéraient la centralisation de tous les pouvoirs aux mains d'un seul organe comme condition sine qua non de l'existence de la révolution....et, incidemment, de leur propre existence. Six mois ne s'étaient pas écoulés après Novembre 1917 que le Commissariat du Peuple aux Voies et Communications accaparait le rôle d'organe d'exploitation ferroviaire et que le Comité Exécutif des Chemins de Fer était châtré de toute vitalité; quelques mois encore et cet organisme prolétarien exhalait son dernier soupir.

Il en fut de même pour toutes les autres phases de la vie, au lendemain de la révolution, jusqu'aux Comités d'Usines, cellules basiques du prolétariat producteur, qui, indépendants qu'ils étaient au moment de la révolution, devenaient bientôt embrigadés dans la machine syndicale, celle-ci devenant à son tour l'outil, malléable à gré, du ‘Centre’.

Les principes positifis de la Révolution Russe que nous avons énumérés plus haut avaient donc eu besoin d'un correctif important, correctif introduit par les syndicalistes qui, refusant la nécessité d'un centre qui dicterait, exigeaient que l'usine fût gérée par les ouvriers, que la terre fût cultivée et contrôlée par les paysans, que la maison fût contrôlée par ses locataires, et que la ville fût organisée par ses habitants. Mais que tous ces travaux fussent effectués pour le bien de toute la communauté.

Un tel principe directeur d'une révolution victorieuse éliminerait nécessairement tout pouvoir ou gouvernement central.

La proclamation d'un tel principe sera au crédit de la prochaine grande révolution qui ne pourra plus se contenter de la limite que s'était fixée la Révolution Russe, comme celle-ci n'avait pu s'arrêter aux principes énoncés par la révolution française de 1789.

Toutefois, la Révolution Russe reste une révolution à caractère social. Comme telle, elle a avancé d'un siècle au moins l'oeuvre de libération des opprimés. C'est une valeur positive inestimable qui fait de cette révolution, malgré tous ses détracteurs et malgré tous ses accapareurs, un phare brillant, illuminant à perte de vue le chemin qui nous reste encore à parcourir.

Mais des cambrioleurs ont forcé l'entrée du phare: depuis, la lumière brillante se ternit de plus en plus. Le champ d'action de la Révolution a commencé à se rétrécir de plus en plus.

Le bolchevisme est devenu maître du phare indicateur de la route, et c'est sur une autre route que la Révolution est traînée.

Enumérer les actes de trahison notoire et de lèse-révolution commis par les bolchevistes contre les principes sur lesquels la révolution s'est développée nous obligerait à dépasser les frontières trop étroites d'un article de revue. Fixons seulement quelques jalons....devenus poteaux d'infamie.

Le Rôle Négatif du Bolchevisme.

Dans le champ de l'activité économique et industrielle, un bureaucratisme et une paperasserie inouïs embouteillent toute l'industrie et la rendent incapable de se libérer des chaînes complexes dont elle est entourée et qui l'étouffent. Un bureaucratisme centralisateur qui avait fini par semer l'épouvante parmi ceux-là même qui en furent les protagonistes, obligeant l'un d'eux à déclarer qu'il ne fallait pourtant pas que le ressemelage d'une paire de chaussures d'un ouvrier à Omsk, en Sibérie, nécessitât l'autorisation écrite de l'organe central des Cuirs et Peaux à Moscou! Ce centralisme économique aboutit à une politique de prix qui rend tout produit industriel prohibitif à la population prolétarienne, les seuls pouvant acheter appartenant à la nouvelle classe bourgeoise, celle des ‘Nepman’. Malgré une surproduction dans certaines industries, les produits manufacturés sont à des prix qui ne peuvent être à la portée de la classe ouvrière....de la classe à laquelle appartient l'usine où cette surproduction est enregistrée. Il y a donc, d'un côté, famine de produits

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manufacturés pour la population urbaine aussi bien que rurale; en plus, il y a manque de produits agricoles, le paysan ne pouvant obtenir ses charrues, ses outils, ses vêtements, en échange des produits agricoles, qu'à un coefficient de blé tellement élevé que son jeu de cultiver la terre ne valait plus la chandelle textile ou industrielle que la ville lui tendait.

Quant à la politique nationale, elle se résume en une dictature farouche contrôlant absolument toutes les manifestations de la vie quotidienne d'un grand peuple de plus de 120 millions d'habitants. Le gouvernement est omnipotent, omniscient, incontrôlé et incontrôlable....excepté par le Comité Central du parti bolchevik, celui-ci n'étant que le synonyme de celui-là. Il gère les usines, il gère les villes; il gère l'intérieur de chaque maison, de chaque famille. Il gère les syndicats, il gère les comités d'usines. Il est la seule et unique source de la vie sociale du pays. Le résultat ne s'est pas fait attendre: apathie générale; désintéressement complet des affaires publiques; une peur atroce du voisin, une méfiance au sein de sa propre famille: ‘l'oeil de Moscou’ - qui, à Moscou, est la Tcheka, - partout où l'air et la lumière peuvent passer; une littérature officielle une presse officielle, une éducation officielle....et une foule toujours croissante d'enfants abandonnés. Tel est le portrait, grosso modo, du régime actuel, consacré par le parti bolchevik.

En outre, division de population laborieuse du pays en deux classes distinctes: la classe ouvrière et la classe paysanne. Ce fractionnement du pays travailleur en deux tronçons dont l'un dominait l'autre a été la tragédie dans laquelle la révolution finit par perdre tout son sang. Rendre, dans un pays où la classe ouvrière ne forme qu' une infime partie du prolétariat exploité, cette classe maîtresse de la situation; subordonner le prolétariat rural au prolétariat urbain - c'était sceller le destin d'une révolution dont les principes fondamentaux refusaient d'accepter une telle subdivision arbitraire.

Mais pour pouvoir, malgré les faits et malgré la vie, mener cette ligne criminelle, il fallut que le parti bolcheviste entreprit une série de mesures répressives contre toute velléité de désaccord avec la ligne de conduite officielle dans le champ économique, politique ou social. Il en résulta: la censure; la destruction de la presse non officielle; une ère de persécutions brutales; la mise à l'index de toute pensée révolutionnaire venant d'au-delà des frontières de l' empire soviétique. On peut dire que le parti bolchevik a réussi à abolir effectivement le droit de pensée.

Avons-nous exagéré les couleurs sombres du portrait? Décidément non. Le pays manque totalement de la moindre initiative individuelle, seul symptôme de vitalité: tout est réglé par la bureaucratie gouvernementale. Et si, par hasard, il advient que certaines manifestations de la vie publique ont suscité une amélioration en comparaison avec le régime tzariste, les amis du régime soviétique, qui ne connaissent ce régime que par une courte visite payée au Kremlin, s'en saisissent pour faire l'éloge immodéré du régime tout entier. Nous assistons à un fait curieux: malgré l'admission qu'en Russie le parti bolchevik, c'està-dire le gouvernement, a remplacé toutes les initiatives individuelles ou collectives et que l'oppression sévit d'un bout du pays à l'autre, nos amis révolutionnaires, qui sont pourtant très critiques à l'égard de tout système gouvernemental, concluent que rien ne peut être fait sans un gouvernement. Tout le monde est d' accord que les gouvernements démocratiques ont ruiné les pays où ils sont les maêtres. On ne peut s'empêcher, d'un autre côté, d'admettre que les gouvernements dictatoriaux - la couleur de la dictature ne changeant en rien son fond - sont en bon train de ruiner les nations qu'ils dirigent. Malgré cela, ces mêmes amis bien intentionnés, qui s'en vont en Russie chercher la solution du problème social. préfèrent encore et toujours choisir la ligne de moindre résistance, au lieu de soulever tout au moins le problème de la possibilité de se passer d'un gouvernement, quel qu'il soit. On touche ici du doigt une autre aberration qui règne même dans les rangs des anarchistes, c'est-à-dire de ceux qui sont ennemis irréductibles de tout gouvernement. On met le signe d'égalité entre ‘gouvernement’ et ‘organisation’; entre ‘pouvoir’ et ‘puissance’. Car la puissance organisatrice d'un peuple, d'une classe ne signifie nulle-

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ment le pouvoir gouvernemental de ce peuple ou de cette classe. Et tout comme en Novembre 1917, les travailleurs révoltés ont refusé de passer par la transition démocratique bourgeoise, il est tout aussi logique de se refuser à accepter la transition dictatoriale.

C'est précisément dans cette direction que l'anarcho-syndicalisme a cherché à synthétiser l'idéologie anti-gouvernementale avec la tactique organisatrice, synthèse que le bolchevisme, autoritaire par essence, a nécessairement refusé d'accepter. La leçon qui se dégage de la Révolution Russe, surtout quand on considère la façon dont cette révolution a été escamotée, est, en premier lieu, que l'action reconstructive d'une révolution, dont les principes seraient imbus de l'esprit libertaire, devait être basée sur ces mêmes idées libertaires au lieu d'être déviée dans le sillon autoritaire.

Tout libertaire qui ne veut pas reconnaitre l'urgence d'une telle synthèse admet sa propre faillite en tant que révolutionnaire, car la révolution ne consiste pas tant dans la destruction d'un système contre lequel on lutte que dans l'instauration, dans l'établissement, dans la construction du système que l'on préconise. La tactique d'‘opposer’ ad infinitum est une autre ligne de moindre résistance tout aussi néfaste que celle adoptée par les touristes philo-bolcheviks qui trouvent que rien ne peut se faire sans un gouvernement....surtout s'il est fort!

Il s'en suit, par conséquent, que toute solution de l'imbroglio bolcheviste. toute issue de l'impasse économique et politique dans laquelle la Russie prolétarienne se débat aujourd'hui, devra être cherchée, et trouvée, dans cette direction de l'organisation reconstructive à base libertaire.

Le règne du bolchevisme a laissé un autre stigmate infâme sur le corps meurtri de la Révolution: celui d'avoir exilé, emprisonné, fusillé, déporté, chassé des révolutionnaires qui n'ont pas voulu plier échine devant la brute force, non pas de la nagaïka du cosaque tzariste, mais d'un gouvernement se dénommant révolutionnaire. Ce stigmate restera pour tous les temps la honte indélébile du régime bolcheviste.

Dix années ont passé déjà depuis le jour où l'on croyait voir poindre à l'horizon le commencement d'une nouvelle ère d'où l'oppression et l'exploitation seront bannies pour toujours. Dix années pleines d'enseignements gros de conséquences. Dix années pleines d'amertume, de désappointements, de découragement et, souvent, de dégoût. Mais ni cet amertume, ni ces désappointements, ni ces découragements, ni même ce dégoût n'ont pu oblitérer et effacer la grande joie de Novembre 1917 qui a ouvert aux révolutions futures - en Russie ou ailleurs - des horizons qui les obligeront à ne pas rester en arrière sur ce qui a été accompli il y a dix ans....et qui a été étouffé depuis.

Nous fêtons et commémorons solennellement le dixième anniversaire de la Révolution Russe....et nous portons son deuil à l'occasion du dixième anniversaire du pouvoir bolcheviste.